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Un jour viendra où le plus important dans la vie sera le fait de compter le nombre de calories qu’il est possible de mettre dans notre assiette.
Lorsque le monde perd la tête, il ne reste qu’une solution : le retour sur terre.
Pouvez-vous imaginer que l’on vous attribue un hectare de terres arables ? Pouvez-vous imaginer qu’en cas de coup dur vous deviez vendre cette parcelle et qu’après un certain délai cette terre redevienne votre ou à vos descendants ? Pouvez-vous imaginer une réforme du droit de propriété qui fasse que la terre devienne un bien de l’humanité et que nous en soyons simplement dépositaires ? Pouvez-vous imaginer un mode de production agricole qui nourrisse l’espèce humaine et mette en valeur l’environnement ?
Voici ci-dessous un programme avec 10 mesures qui envisage ce retour sur terre. Il est largement inspiré de propositions faites par un collectif d’auteurs (1) qui ont publié une tribune début avril 2020, un texte écrit il y a 3 500 ans et d’une réflexion personnelle de plusieurs années !
Ces mesures sont remplis de sagesse pour permettre un vrai retour à une justice sociale et environnementale mais néanmoins révolutionnaire dans leurs mises en application.

Mesure 1 – Réforme agraire
L’histoire a connu de multiples réformes d’envergure dans de nombreuses nations pour redistribuer les terres et favoriser une agriculture de proximité. Cette démarche est redevenue indispensable pour assurer le fondement d’une économie basée sur la justice sociale, la solidarité et pour préserver l’environnement.
Les terres arables sont expropriées et redistribuées.

L’expropriation
Les agriculteurs seront indemnisés pour les pertes de surface quʼils pourraient subir en annulant les emprunts contractés dans le passé.
Si des entreprises non agricoles perdent leur superficie, lʼindemnité sera fonction de plusieurs critères à définir avec un prix plafond pour éviter des gains spéculatifs.

La redistribution
Chaque citoyen va devenir propriétaire dʼun hectare sʼil est français ou sur le sol français depuis 7 ans (pour ce dernier sʼil exploite maintenant une parcelle).
Nota : La superficie de 1 ha. est identique pour la Suisse. Pour les autres pays il est calculé le ratio habitants/superficie terres arables pour décider la superficie attribuée.

Pour l’attribution des parcelles nous rencontrons deux cas de figures :
La terre est déjà occupée par une personne, elle sera prioritaire pour la conserver. Si elle occupe dix hectares au moment de la réforme agraire, un hectare sera sa propriété et neuf hectares seront loués à leurs propriétaires respectifs,
Une personne qui n’a pas de terres et qui désire sʼinstaller pourra faire une demande. Plusieurs critères vont permettre l’attribution : profession, domicile actuel, domicile des ancêtres, souhait personnel, tirage au sort.

Terres expropriées selon degré de priorité :
– Agriculteurs désirant se retirer sans successeur,
- Surfaces appartenant à des entreprises étrangères,
- Surfaces appartenant à des collectivités locales et territoriales,
- Surfaces appartenant à des entreprises nationales de grandes tailles,
– Surfaces appartenant à des entreprises nationales de taille intermédiaire,

Une personne qui nʼa pas besoin de terres dans lʼimmédiat se verra attribuer par tirage au sort un hectare et pourra éventuellement la louer à la personne ou entreprise qui est en ce moment sur le terrain.
Les terres qui ne sont pas encore attribuées (plus de terre que de personnes) seront en réserve pour les générations à venir et pour les personnes sur le territoire depuis 7 ans.
Le changement de propriétaire pour sa parcelle est possible par la vente en appliquant le principe du jubilé (mesure 2).

Gestion des abus
Toute exploitation abusive du sol (dépôt dʼordures, cultures OGM, utilisation dʼengrais, pesticides non validés par le BIO) sera sanctionnée :
Entreprises : perdront leur droit d’usage,
Particuliers : devront donner de leur temps à la communauté du lieu du préjudice.

Mesure 2 – Le jubilé
Le principe du jubilé est de remettre les compteurs à zéro tous les 50 ans. Chacun retrouvera la possession de la terre qui lui a été attribuée (ou à son ancêtre) lors de la réforme agraire. Pourquoi un tel principe ? C’est pour permettre de donner une deuxième chance à ceux qui font une erreur et éviter une accumulation de pauvreté qui se transmet de génération en génération, permettre d’obtenir une vraie justice sociale, permettre de mettre l’humanité à un niveau supérieur que le droit de propriété. C’est un principe révolutionnaire mais emprunt de justice et de sagesse.
Chacun peut vendre sa parcelle de terre ou la louer. Le prix de vente est fonction du nombre dʼannées séparant de la prochaine date de jubilé. Selon qu’il reste plus ou moins d’années, le prix d’achat sera élevé ou faible, car, en fait, ce qui est vendu, c’est un certain nombre de récoltes.
Une terre ne sera jamais vendue à titre définitif car le sol ne nous appartient pas, nous n’en sommes que dépositaires.
Toute terre qui nʼest pas exploitée (mais qui a un propriétaire) depuis sept ans pourra être loué au prix du marché par une personne en faisant la réquisition jusquʼà la prochaine date de jubilé.
Lʼannée de la redistribution de la réforme agraire les terres ne pourront être revendues. Les ventes de parcelles effectuées les 50 dernières années seront annulées. (3)

Mesure 3 – Le droit de rachat
Dans tout le pays, il est garanti le droit de rachat des terres.
Si un citoyen devient pauvre et doit vendre une partie de son patrimoine foncier, un proche parent qui a le droit de rachat pourra racheter ce que son parent aura vendu.
S’il ne se trouve personne qui ait le droit de rachat, mais que cet homme retrouve des ressources suffisantes pour racheter lui-même la terre, il considérera le nombre d’années écoulées depuis la vente et versera le prix des années restantes à l’acquéreur; ainsi il rentrera en possession de sa propriété.
Mais s’il ne trouve pas les moyens de racheter sa terre, elle restera entre les mains de l’acquéreur jusqu’à l’année du jubilé. A ce moment là, elle lui sera rendue et il en reprendra possession. (3)

Mesure 4 – Développement durable et solidaire
Les récoltes sont faites avec l’état d’esprit que la terre ne nous appartient pas mais que c’est un bien commun et à ce titre, une fraction n’est pas récoltée pour subvenir aux besoins des personnes démunies et des animaux qui sont sur le territoire.
Une personne a le droit d’entrer dans un champ sans porter de sac et de partir les mains pleines du fruit de la terre.
Tous les 7 ans la terre est laissée en jachère pour se reposer, Il ne sera pas ensemencé et il ne sera pas moissonné ce qui poussera tout seul de la moisson précédente afin de donner une année de repos à la terre.
Les personnes démunies de la région ainsi que le bétail et les animaux sauvages qui vivent dans la région peuvent également pendant cette année de repos prendre les fruits et légumes qui poussent: tout produit des terres leur servira de nourriture. (3)

Mesure 5 – Période de transition
En attendant qu’une réforme agraire soit mise en place par le pouvoir politique d’un pays, il est encouragé l’achat de terres arables par des collectifs qui mettront en place les mesures 1 à 4 citées ci-dessus. Cet achat et répartition de domaines cultivables entre les citoyens est immédiatement applicable et sera source de prospérité pour les initiateurs des projets !

Mesure 6 – Subventions
Des subventions sont données aux exploitants pour le premier hectare cultivé.
Ces aides déclinent fortement pour les entreprises exploitants de plus grandes superficies.
Effacement des dettes pour les agriculteurs qui veulent reconvertir leurs exploitations sur les principes d’une agroécologie décarbonée (Mesure 7).
Les subventions sont principalement orientées vers l’agroécologie décarbonée.

Mesure 7 – Agriculture : vers une “agroécologie décarbonée” (sans énergies fossiles).
Il est urgent de mettre en place un modèle agricole à très haute productivité par unité de surface et à faible productivité par unité de travail. Une telle agriculture exigera de mobiliser à terme entre 15 et 30 % de la PEA, d’abandonner presque entièrement la motorisation à énergie fossile et d’avoir massivement recours à l’énergie musculaire (animale ou humaine). Cela implique également d’imposer un phasage de l’utilisation des pesticides de synthèse (néfastes pour toute la biodiversité) et les engrais de synthèse, autre poste important de l’utilisation/dépendance des combustibles fossiles en agriculture.
Imposer la sortie de cet ancien modèle est aussi une façon de se projeter dans le nouveau, celui qui permettra de faire de l’agriculture le premier secteur économique fixateur de carbone, comme le demandent les scénarios du GIEC que tous les pays ont admis avec la COP 21 dont la France est si fière. Ce modèle inclut aussi un retour à l’intégration des arbres dans nos pratiques agricoles, entre forêt-jardin, systèmes agro-forestiers et sylvo-pastoraux (soit le démembrement du remembrement). Par ailleurs, pour éviter la stratification sociale entre individus se consacrant à des activités dont les taux de productivité horaire sont très différents, nous proposons que cette mobilisation concerne TOUTE la Population Économiquement Active (PEA), sous la forme d’une activité agricole à temps partiel, spécialement dans les périodes où les besoins de main d’œuvre sont très élevés (récoltes, préparation des sols, désherbage, etc.). Le régime d’activité du futur serait donc celui de la “poly-activité intermittente”, qui verrait chaque individu se consacrer, alternativement et par phases, à l’entretien du vivant (dont l’agriculture est une forme essentielle) et à d’autres activités productives ou de services. Cette alternance aurait également des vertus démocratiques (puisqu’elle place tous les paysans, permanents ou intermittents, sur un pied d’égalité et de coopération) et culturelles, car elle permettrait de rétablir le lien entre tous les habitants du territoire national et “l’autre société” des espèces vivantes qui habitent ce même territoire. (2)

Mesure 8 – Agriculture : vers une libération des semences et diversification génétique.
La libéralisation des semences du domaine public constitue un élément majeur de l’autonomie et de la sécurité alimentaire. Il y a, à l’heure actuelle, grâce au travail institutionnel de différents acteurs, à l’échelon national et Européen, des avancées importantes pour la réhabilitation et la réappropriation des ressources génétiques natives (semences paysannes – variétés ancestrales, etc.). Il conviendra de mettre un terme à l’actuel système d’encadrement du marché des graines. Les semences paysannes sont d’ailleurs libres de tout droit de propriété intellectuelle, de tout brevet ou C.O.V. (titulaire d’un Certificat d’Obtention Végétale). Notons enfin que des travaux en cours (INRA – CIRAD de MONTPELLIER) tendent à montrer que les semences paysannes, à la différence des semences industrielles, sont riches d’endophytes (écosystèmes microbiens symbiotiques), lesquels contribuent fondamentalement à la vie les plantes, comme des sols.
Aucune loi n’interdit de re-semer les graines de son champ ou de son jardin, surtout si elles sont dans le domaine public, donc libres de tout droit de propriété intellectuelle… Cependant, le privilège de l’industrie (déposer des brevets sur les semences) leur a servi de tremplin pour accaparer les semences libres paysannes, et faire interdire leur usage libre. Le G.N.I.S. (Groupement National Interprofessionnel des Semences), par exemple, est une instance ambigüe à double casquette, représentant des intérêts privés des firmes qui le constituent, (Bayer, Monsanto, Dupont, Pioneers Syngenta, Limagrain, etc.) et chargé en outre par l’État français de gérer le secteur officiel des semences et de représenter l’État français pour toutes les missions officielles concernant la réglementation des semences… Cette situation est intenable d’un point de vue éthique, et dangereuse pour la biodiversité, c’est-à-dire l’avenir de l’agriculture. Nous proposons d’en finir avec les brevets de semences. (2)

Mesure 9 – Agriculture : “réempaysannement des Terres”.
La préservation et la répartition du foncier agricole, qui disparaît toujours au rythme de 1 département tous les 6 ans en France, est un enjeu majeur pour la pérennité de notre société. Les terres arables garantes de notre avenir alimentaire s’effondrent dans la plus totale indifférence. L’effet est plus dramatique encore dans les pays du Sud (Asie – Afrique – Amérique Latine) par l’accaparement dont l’ampleur constitue une menace globale pour l’humanité, avec des conséquences irréversibles sur le court terme. Les appropriations et la concentration des terres par quelques-uns entraînent la destruction des sociétés paysannes, l’exclusion de millions de petits producteurs, la destruction des écosystèmes et des ressources en eau et l’accélération du réchauffement climatique. Les paysans sont par millions victimes des évolutions actuelles des structures agraires qui violent les droits des populations et pillent littéralement les territoires, en créant partout la précarité et les pénuries alimentaires. Pourtant les agricultures paysannes sont dix à cent fois plus productives par unité de mesure que l’agriculture industrielle et elles nourrissent encore aujourd’hui 75 % de la population mondiale avec seulement 25 % des terres agricoles et très peu de protéines animales. Pour mettre fin à cette dérive en France, les SAFER verront leurs missions redéfinies et leurs prérogatives légales renforcées : maintien et développement des agricultures familiales (pratiquant la polyculture vivrière agroécologique), accompagnement des nouveaux paysans désirant participer à un programme de “reconquête paysanne”, pouvoirs d’investigation pour mettre en échec les opérations de contournement de la loi foncière. (2)

Mesure 10 – Réforme de l’éducation et de la recherche, donnant la part belle, pour ce qui concerne la première, à la coopération et la créativité et, pour ce qui concerne la seconde, aux sciences citoyennes et participatives, sans entraver la recherche fondamentale, plus que jamais essentielle. Chaque individu serait associé à la veille de l’écosystème qui l’héberge, et dont il observerait les évolutions : il s’agirait de confier à chaque personne volontaire le soin d’opérer régulièrement et suivant des méthodes éprouvées des “relevés du vivant”, pour mieux estimer la réponse des écosystèmes aux changements d’activité. Aucun dispositif purement mécanique ne permettra d’avoir une idée de la “productivité globale” ou de “l’output thermodynamique global” d’un écosystème : c’est une limite de toutes les démarches d’évaluation d’impact écologique de l’activité économique (des flux d’énergie / matière). Il faudra associer les humains à cette veille thermodynamique quotidienne. Cette démarche aurait des vertus culturelles puisqu’elle conduirait chaque volontaire (et potentiellement tous les citoyens) à observer (regarder, écouter, sentir) les évolutions de la société des vivants qui l’entoure. (2)

Note finale :
 si vous avez des idées pour améliorer, étoffer ce programme pour une révolution verte, n’hésitez pas à nous contacter !

(1)
Dominique Bourg, né le 11 août 1953 à Tavaux, est un philosophe franco-suisse, professeur honoraire à l’université de Lausanne. Il se présente aux élections européennes de 2019 en France à la tête de la liste Urgence écologie, qui obtient 1,82 % des suffrages.

Philippe Desbrosses (né le 28 mai 19411) est un agriculteur, scientifique et écrivain français. Il est un des pionniers de l’agriculture biologique en Europe.

Gauthier Chapelle est ingénieur agronome et docteur en biologie. Après une thèse en biologie Antarctique, et 5 ans de sensibilisation aux changements climatiques à la Fondation Polaire Internationale, il a rejoint le mouvement du biomimétisme, fondé en 2006 l’association Biomimicry-Europa en vue de promouvoir le concept en Europe, puis le bureau d’études Greenloop en 2007. Depuis quelques années, il encourage un biomimétisme « low-tech » et se passionne en particulier pour l’agriculture biomimétique et post-pétrole, aux côtés de Pablo Servigne, et de la Ferme du Bec Hellouin

Johann Chapoutot, né le 30 juillet 1978, est un historien spécialiste d’histoire contemporaine et du nazisme.

Xavier Ricard Lanata, ethnologue et philosophe, s’est consacré pendant quinze ans à des projets de solidarité internationale (notamment au CCFD-Terre Solidaire)

Sophie Swaton, Maître d’enseignement et de recherche, UNIL, Présidente, Fondation Zoein

Pablo Servigne est un auteur et conférencier français. Il s’intéresse tout particulièrement aux questions de transition écologique, d’agroécologie, de collapsologie et de résilience collective.

(2)
Texte extrait de « Propositions pour un retour sur terre »
Par Dominique Bourg, Philippe Desbrosses, Gauthier Chapelle, Johann Chapoutot, Xavier Ricard-Lanata, Pablo Servigne et Sophie Swaton
http://lapenseeecologique.com/propositions-pour-un-retour-sur-terre/

ou lien de téléchargement du pdf

(3)
La Bible, livre le Lévitique, chapitre 25

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