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Dans les hypermarchés et même les supermarchés fleurissent des caisses munies de scanners permettant de remplacer les caissiers et caissières.

Dans les hypermarchés et même les supermarchés fleurissent des caisses munies de scanners permettant de remplacer les caissiers et caissières.

Le 15 décembre 2019, l’enseigne Casino géant ouvrait son premier magasin sans caissiers à Vals-près-le-Puy (Haute-Loire-France), à l’ouverture des portes la population ne voulant pas de ce magasin, a commencé à le bloquer. Le 5 janvier 2020 le magasin a été temporairement fermé. Le moment est symbolique car ce groupe veut basculer 125 magasins selon ce même procédé.(1)

Est-ce un phénomène nouveau que des métiers deviennent soudainement dépassés par le « progrès » technologique ? La réponse est évidente.

Voici un exemple, au début du 19e siècle, le lyonnais Joseph Marie Jacquard a fait l’invention du métier à tisser. Au début, sa création fut très mal accueillie par les tisserands de Lyon (fief du textile), entre 1830 et 1850, les artisans se révoltèrent à plusieurs reprises en détruisant les métiers à tisser, il y eu des centaines de morts liés à la répression policière. Deux décennies plus tard, ils ont rappelé Jacquard car la concurrence étrangère devenait très vive et il est devenu le sauveur du secteur textile français. Son apport a été une vraie révolution qui a permis le passage de l’artisanat à l’industrie textile.(2)

Aujourd’hui nous entrons dans une nouvelle ère économique, cependant celle-ci semble différente de toutes celles que nous avons vécu jusqu’à présent.

La société de conseil McKinsey qui est classée numéro mondial pour le conseil auprès des directions générales a fait une étude qui prévoit qu’environ huit cents millions d’emplois devraient disparaitre d’ici à 2030, lié à la digitalisation, la robotisation et l’intelligence artificielle. (3)

Bien sûr de nouveaux emplois seront créés comme l’économiste Joseph Schumpeter (1883-1950) (4) l’a théorisé en appelant son concept « la destruction créative ». Cette théorie est aujourd’hui largement reprise par toutes les personnes qui veulent faire croire que le progrès n’est pas destructeur net d’emplois.

Cependant nous avons un contexte qui est très différent des périodes précédentes et qui nous fait vivre un moment unique de l’histoire.

1/ Les économies sont mondialisées et quelques dizaines de multinationales ont une influence planétaire. Une innovation pourra donc engendrer des suppressions d’emplois, dans une région, qui vont induire des gains de productivité aspirés par de la fraude fiscale, pardon par de l’optimisation fiscale à des actionnaires lointains. Eventuellement une petite proportion d’emplois nouveaux seront créés à des milliers de kilomètres de là.

2/ Les cycles d’innovation sont plus rapides que par le passé. Comparons deux époques :

  • Le passage du métier de tisserand à la manufacture de métiers à tisser a pris un demi siècle,

  • Une étude en 2017 de Dell et «l’Institut pour le Futur», think tank californien affirme que 85% des emplois de 2030 n’existent pas aujourd’hui. (5)

Nous pouvons également clairement voir que le système de formation ne peut pas suivre les besoins de l’économie ; la création d’un nouveau cycle d’études par exemple, nécessite trois à cinq ans plus un temps identique pour que les étudiants soient formés !

3/ Les mutations ont un caractère généralisé, qui va toucher l’économie dans son ensemble et cela va malheureusement être massif et brutal. Il y a quelques jours, Google annonçait que grâce à l’intelligence artificielle son logiciel réussissait à avoir un meilleur taux de détection du cancer du sein qu’un médecin confirmé qui a pu étudier les antécédents médicaux des patients. (6) C’est génial pour la prévention de cette forme de cancer mais je vous laisse imaginer les impacts collatéraux.

4/ Les théories économiques néo-libéralisme sont considérées comme des lois universelles.

Les pouvoirs politiques sont subjugués par les théories du néo-libéralisme qui font pression pour ouvrir les marchés nationaux, vendre les entreprises publiques aux plus offrants, déréglementer les législations nationales dans une course effrénée à essayer d’être compétitif.

Les gouvernements se sentent aussi obligés d’appliquer des directives supra-nationales  d’ouverture de leurs espaces économiques à cause du poids des dettes nationales (qui est un faux problème qui sera évoqué dans un article à paraitre).

Les principes néo-libéraux ne peuvent être remis en question sous peine d’être discrédité et étiqueté d’extrémiste, marxiste, anarchiste et j’en passe.… Une nouvelle étape est franchie ces derniers temps où le néo-libéralisme en tant que théorie économique est nié par ses partisans  pour mieux faire passer l’idée que ses principes sont des lois naturelles qui ont existé de tout temps. Insidieusement le discours de la pensée unique se distille dans les nations et les esprits des citoyens.

Le terme révolution numérique est peu adapté pour parler du changement actuel, nous pourrions plutôt employer un terme tel que tsunami numérique ou catastrophe numérique. Les rapports sociaux pourraient être pulvérisés à des niveaux inédits car nos modes d’organisation socio-économiques sont basés sur une stabilité qui a ses fondations dans la collectivité, la planification, et la centralisation. La situation nécessite d’agir car tout pourrait voler en éclat si nous laissons des algorithmes mathématiques sans coeur, ni émotions, prendre les décisions.

Sinon juste pour la petite anecdote, il est intéressant de constater que Joseph Schumpeter, plébiscité par les tenants de l’économie néo-libérale étaient profondément convaincu que le capitalisme pouvait s’effondrer par des causes endogènes (de par sa propre nature).

En astronomie il y a les trous noirs et en économie il y a le capitalisme ! Je m’excuse, ce n’est pas une bonne blague mais une bonne métaphore décrivant comment pour subsister le capitalisme doit aspirer et absorber, les richesses environnantes tel un trou noir.

Est-ce une fatalité d’avoir un « progrès » aveugle ? Tels les tisserands qui résistaient contre les métiers à tisser ne pourrions-nous pas faire la même chose ? Oui, mais pour combien de temps ? A mon avis, ce n’est pas la meilleure façon de poser la question. Je crois que nous ne devons pas sous estimer le pouvoir que nous avons et nous devons être stratégique dans notre approche.

Reprenons l’exemple des supermarchés, nous pouvons envisager une phase de dialogue, de communication avec la direction, les salariés pour expliquer notre point de vue et notre désaccord par rapport à ce qu’ils préparent. Si rien ne bouge, une escalade graduelle peut être envisagée avec par exemple la création d’un collectif de consommateurs et une sensibilisation sur cette question, le boycott des produits sur lesquels le magasin marge le plus, le boycott global du magasin pour aller vers d’autres qui sont plus respectueux de l’emploi. Juste un ordre d’idée, trois cents clients qui se mobilisent peuvent sauver un emploi. Il faut bien avoir conscience que le néolibéralisme ne peut entrer que là où il est accueilli ; le fait de ne rien faire joue également contre nous.

Il y a six mois la population au Maroc a commencé à boycotter le lait provenant de Danone car le prix avait subi une hausse importante et quelques semaines après la hausse a été annulée ! (7)

Nous pourrions penser que toute cette énergie pour sauver une caissière ne vaut pas le coup, mais celle-ci est l’arbre qui cache la forêt de la digitalisation. Demain cela pourrait très bien être toi. Et même si tu es programmeur, un jour viendra où la machine que tu auras programmé pourra se passer de toi. Je le dis de façon un peu brutale et je m’en excuse, mais aujourd’hui il est important de jouer en équipe, les individualités ne payeront pas ! Le fait de ne rien faire aujourd’hui fait également augmenter en chacun un certain degré de fatalité, et le fatalisme ne l’oublions pas est la porte du désespoir.

De façon concomitante à la résistance, il faut être dans l’action. J’aime beaucoup le terme « action » car il est opposé au terme « réaction » sur le plan des émotions. Nous allons être dans la réaction si nous faisons les choses motivés par la peur mais nous serons dans l’action si nous sommes motivés par l’amour. Amour de bâtir une société qui nous corresponde, qui soit plus humaine, résiliente, bonne pour l’environnement et basée sur la justice.

Amour et peur sont donc vraiment opposés, de même que action et réaction. En réagissant nous faisons le jeu de nos ennemis, en agissant nous bâtissons notre futur.

Et encore une fois, le progrès technique n’est pas une fatalité mais le devient si nous baissons les bras et endurcissons nos coeurs. Employons notre énergie, notre temps libre, nos coeurs à créer des zones où l’intelligence artificielle n’est pas la bienvenue aveuglément et où la justice sociale, fiscale, environnementale règnent. Nous retrouvons ces « ilots durables » sous la forme d’un habitat participatif, d’un quartier, d’une rue, d’une commune, d’une région de plusieurs pays qui sont connectés entre eux tel un réseau neuronal. Tout comme une cellule, chaque ilot possède l’ADN complet pour pouvoir se reproduire. La croissance de ces zones apparait encore comme marginale car les initiatives passent largement sous le radar des médias classiques, mais je peux attester que leur croissance est aujourd’hui explosive ! (8)

 

Si cet article vous fait réfléchir ou vous encourage à passer à l’action, n’hésitez pas à me soutenir sur mon compte tipeee.

Références :

(1)

https://www.bfmtv.com/economie/casino-renonce-provisoirement-a-l-ouverture-d-un-magasin-sans-caissiers-en-haute-loire-1835749.html

(2)

https://www.france-pittoresque.com/spip.php?article12487

(3)

https://www.generation-nt.com/automatisation-robotisation-emploi-humain-disparition-actualite-1948595.html

(4)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Joseph_Schumpeter

(5)

https://www.lefigaro.fr/conjoncture/2017/07/17/20002-20170717ARTFIG00212-une-etude-affirme-que-85-des-emplois-de-2030-n-existent-pas-aujourd-hui.php

(6)

https://www.lepoint.fr/sciences-nature/l-ia-de-google-detecte-desormais-mieux-les-cancers-du-sein-que-les-medecins-02-01-2020-2355943_1924.php

(7)

https://nawaat.org/portail/2018/11/24/hausse-des-prix-penurie-inflation-et-si-le-boycott-etait-la-solution/

(8)

https://www.novethic.fr/actualite/infographies/isr-rse/infographie-que-pese-economie-sociale-et-solidaire-france-144969.html

J’ai également lu un article du professeur Belge Bruno Colmant que j’ai trouvé très pertinent et qui m’a inspiré à écrire cet article :

https://trends.levif.be/economie/politique-economique/des-metiers-a-tisser-a-uber/article-opinion-428539.html

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